Elle

Les cantonniers m’ont raconté, cette histoire :

Dans le village voisin, Elle est morte. Comment pouvait-elle mourir ? Si grande, si vive et généreuse. Lettre majuscule au milieu des siens. Chez Elle, rien ne se perd tout se partage. Son épicerie rassemble comme un centre social. Toujours possible de parler avec quelqu’un ou de retrouver celui qu’on avait perdu de vue… ce qui est nécessaire à la vie douce et lente. Un abastacedor si petit et pourtant tout est là, rien ne manque. Les fruits de saison et les graines pour le jardin, les boîtes de frigoles et de poisson, les clous de toute taille, les chips de yuca et les pinceaux larges pour revernir les planches de la maison. Tout pour la vie simple, longue et si légère qu’elle ne pèsera pas plus qu’une plume sur la planète. Le village se rassemble pour la cérémonie… Les voisins et ceux de plus loin venus en bus pour les retrouvailles au cimetière. Chacun arrive avec fleurs et plants en pots, c’est si peu pour guérir de l’absence.

saison des pluies
le brin d’herbe se souvient
de l’arbre

Dans ce cimetière aussi minuscule que l’abastacedor, les autres tombes font grise mine… Et pourtant ici, nul n’abandonne ses morts, mais la saison sèche est passée par là. Sur la tombe de Elle, tous les fleuristes de la presqu’île peuvent venir s’inspirer. Bouquet d’exuberance et de couleurs jamais vues, même celles qui débordent de l’arc-en-ciel.

larmes pour Elle
larmes sur soi, on se dit
à la prochaine

Ni la nuit, ni la mort de Elle n’ont ouvert leur mystère… Pourtant quelqu’un est venu. Ce matin sur chaque tombe un bouquet, un petit plant, une décoration colorée. Sur la tombe de Elle, juste une fleur tombée. Le cimetière changé en jardin, reposoir, parc, réserve naturelle. Ne tardez pas, si vous voulez voir la merveille.

saison sèche
seule résiste la beauté
des fleurs en plastique

Aux cantonniers je demande de m’expliquer :
« Nous n’en avons pas la moindre idée. »